Rêver en stéréo — extraits
« Mes parents avaient une bonne collection de disques. Un de mes favoris était Fu Man Chu de Robert Charlebois. Ce que j’aimais le plus c’était sa langue, la même qu’on utilisait dans la cour de récré, une langue sans artifice et tellement plus authentique que celle qu’on entendait à Radio-Canada. Ma pièce préférée était Conception. J’adorais cette mise en scène aux accents latinos sur un type fraichement sorti de prison. C’était plein d’humour et kesse que ça groovait ! Sur le côté B, une longue pièce de plus de neuf minutes évoquait le cinéma[1]. Ça me rentrait dedans comme une barre d’acier et ça m’électrisait complètement. Jamais de la musique francophone ne m’avait fait cet effet. Vers le milieu, on avait l’impression de se retrouver dans l’espace ; La voie lactée est déviergée, la voie lactée est LSD, disait la voix dans l’écho entre deux notes de guitare électrique. J’avais aucune idée de ce qu’était le LSD, mais ç’avait l’air rudement chouette. Je m’allongeais et prenais le temps d’écouter ça en entier. Sans Charlebois, je crois que j’aurais été incapable de me sentir vraiment québécois.
Charlebois s’était approprié la langue d’une façon totalement originale, mais ce qui rendait ses chansons si percutantes, c’était l’extraordinaire fusion entre les mots et la musique ; les deux frappaient autant l’un que l’autre. Sa voix faisait partie de la musique, et sa musique, de ce Québec qui venait de se réveiller ; ce Québec mal dégrossi, saturé de joual, de grosse 50, de paquets de clopes, de fonds de cendriers et ces morceaux étaient agencés telle une symphonie. Charlebois était incontournable au même titre que le Canadien de Montréal. L’étincelle qui faisait de ce club de hockey le meilleur de la ligue, on la retrouvait dans sa musique. Charlebois, c’était Maurice Richard qui remontait la patinoire, déjouait les défenseurs de l’équipe adverse et scorait sans aide. C’était un savant ramassis d’images granuleuses des années 1970, de gens sur le party et d’affiches bleues qui allaient bientôt s’agiter… plus que quiconque, il personnifiait cette fierté dont on avait tous désespérément besoin. Charlebois était un être flamboyant qui s’assumait entièrement, imparfait, parfois vulgaire, mais nord-américain à vous en arracher les tripes et à travers sa poésie et sa musique rock, il arrivait à me faire aimer mon pays d’accueil. Il hurlait haut et fort ce qu’il était et se contrefoutait bien de ce que les gens pouvaient en penser, quitte à tout bousculer sur son chemin. J’étais loin d’être prêt à en faire autant, mais un jour ça viendrait. »
[1] Fu Man Chu.
« Mes parents avaient une bonne collection de disques. Un de mes favoris était Fu Man Chu de Robert Charlebois. Ce que j’aimais le plus c’était sa langue, la même qu’on utilisait dans la cour de récré, une langue sans artifice et tellement plus authentique que celle qu’on entendait à Radio-Canada. Ma pièce préférée était Conception. J’adorais cette mise en scène aux accents latinos sur un type fraichement sorti de prison. C’était plein d’humour et kesse que ça groovait ! Sur le côté B, une longue pièce de plus de neuf minutes évoquait le cinéma[1]. Ça me rentrait dedans comme une barre d’acier et ça m’électrisait complètement. Jamais de la musique francophone ne m’avait fait cet effet. Vers le milieu, on avait l’impression de se retrouver dans l’espace ; La voie lactée est déviergée, la voie lactée est LSD, disait la voix dans l’écho entre deux notes de guitare électrique. J’avais aucune idée de ce qu’était le LSD, mais ç’avait l’air rudement chouette. Je m’allongeais et prenais le temps d’écouter ça en entier. Sans Charlebois, je crois que j’aurais été incapable de me sentir vraiment québécois.
Charlebois s’était approprié la langue d’une façon totalement originale, mais ce qui rendait ses chansons si percutantes, c’était l’extraordinaire fusion entre les mots et la musique ; les deux frappaient autant l’un que l’autre. Sa voix faisait partie de la musique, et sa musique, de ce Québec qui venait de se réveiller ; ce Québec mal dégrossi, saturé de joual, de grosse 50, de paquets de clopes, de fonds de cendriers et ces morceaux étaient agencés telle une symphonie. Charlebois était incontournable au même titre que le Canadien de Montréal. L’étincelle qui faisait de ce club de hockey le meilleur de la ligue, on la retrouvait dans sa musique. Charlebois, c’était Maurice Richard qui remontait la patinoire, déjouait les défenseurs de l’équipe adverse et scorait sans aide. C’était un savant ramassis d’images granuleuses des années 1970, de gens sur le party et d’affiches bleues qui allaient bientôt s’agiter… plus que quiconque, il personnifiait cette fierté dont on avait tous désespérément besoin. Charlebois était un être flamboyant qui s’assumait entièrement, imparfait, parfois vulgaire, mais nord-américain à vous en arracher les tripes et à travers sa poésie et sa musique rock, il arrivait à me faire aimer mon pays d’accueil. Il hurlait haut et fort ce qu’il était et se contrefoutait bien de ce que les gens pouvaient en penser, quitte à tout bousculer sur son chemin. J’étais loin d’être prêt à en faire autant, mais un jour ça viendrait. »
[1] Fu Man Chu.